L'âme soeur
- Pourquoi ?
- ...
- Pourquoi as-tu fait ça ? Tu m’as l’air d’être un jeune homme sans histoires.. pépère…tranquille … Un mec bien comme on dit. Alors raconte-moi ce qui s’est passé et je pourrais peut-être t’aider.
- ...
- La balle est dans ton camp, gamin. Réfléchis, mais réfléchis vite!
Mathias regarda le policier quitter la salle d’interrogatoire. Presque à regret. Le voilà seul à présent. Seul face à ses démons, ses pensées et ses souvenirs… Seul face à ce souvenir d’elle. Il aurait voulu en parler... chercher la rédemption dans la confession, mais lui-même, ce qu’il était devenu, ce qu’il avait fait et pourquoi il l’avait fait… Tout cela, il l’ignorait. Et il refusait d’être un de ces pathétiques accusés dont la défense reposait presque exclusivement sur des « J’sais pas, M’sieur ».
Une sale odeur de sueur et de vomis suintait des murs de la pièce. Il la sentait sur lui maintenant, collée à son être, imprégnée à ses vêtements. Et l’idée de prendre une douche pour s’en défaire commença à l’obséder. Cette odeur… l’odeur du crime… elle trahissait sa nature nouvelle de prédateur qui venait à peine de se révéler à lui et, cela ne tarderait pas, il s’en doutait, au reste du monde. Elle le trahissait, en l’identifiant à jamais comme le meurtrier d’Emilie Kane…
Emilie Kane… Aussi loin que remontaient ses souvenirs, il avait toujours été amoureux d’elle… Avant même de la connaître, il sentait, il savait qu’il la rencontrerait et que ce serait ELLE. L’idée d’aimer Emilie avait précédé leur rencontre.
Et il ne s’était pas trompé. On ne se trompe jamais en amour. Il l’avait aimé et, en cet instant encore, il l’aimait… même en la sachant morte… Et si elle avait été aussi sûre, aussi consciente et confiante en leur amour qu’il l’avait été lui-même… Elle serait encore vivante, c’est certain. Et ce soir, il l’aurait embrassé, comme il le faisait tous les soirs avant d’aller se coucher.
Il ne comprenait pas… Maintenant qu’il avait du temps pour y réfléchir, Mathias ne parvenait pas à trouver QUAND tout avait changé entre eux. Pourquoi Emilie était-elle devenue si distante avec lui ? Ils avaient toujours été extrêmement complices. Il n’avait qu’un an de plus qu’elle et ils avaient toujours partagé les mêmes jeux. Jamais de disputes, enfin, jamais de vraies disputes. Il avait toujours été là pour elle, le jour où on lui avait posé son appareil dentaire comme le jour où elle avait remporté sa première compétition nationale de gymnastique. Et elle l’aimait. Il n’en démordrait jamais. Et elle savait qu’il l’aimait lui aussi… Pourtant, ce soir, quand il lui avait parlé d’avenir commun, d’enfants, de mariage ; quand il avait voulu lui faire sentir la force de ses sentiments, elle avait paru horrifiée… Pour la première fois, il avait vu Emilie poser sur lui un regard plein de peur et de… dégoût.
Il pensait qu’elle le comprendrait.
Il pensait… Il pensait qu’elle serait heureuse, folle de joie même…
Il pensait… Il ne pensait pas qu’elle le giflerait, qu’elle le repousserait, qu’elle refuserait même qu’il l’approche ou qu’il la touche, qu’elle tenterait de fuir…
Pour lui, Emilie… sa Lili… était immortelle. Il ne pensait pas qu’elle pourrait mourir… aussi bêtement… la nuque brisée au pied d’un escalier… Privée à jamais de son amour.
Le policier le tira de ses tristes pensées en déposant devant lui une cannette de Coca-Cola.
- Je sais que t’es mal… Mais il va falloir me parler, petit. Bon, commençons par le début. Décline ton identité.
- Prénom: Mathias… M – A – T – H – I – A – S.
- Bien. Ton nom à présent.
- Kane. K – A – N – E.
- Bien Monsieur... Mathias Kane… C’était un accident, n’est-ce pas ? C’est ça ? Allez,… dis-moi ce qui s’est passé... Dis-moi ce qui est arrivé à ta sœur ce soir.